Tout amoureux de sport garde en mémoire son sprint lui permettant de devenir champion Olympique de biathlon à Turin en 2006. Vincent Defrasne se confie longuement pour nous sur cette fameuse course ainsi que sur son rôle de porte-drapeau de la délégation française aux Jeux Olympiques de Vancouver il y a 10 ans.
Vincent, tu étais le porte-drapeau de la délégation française aux Jeux Olympiques de Vancouver il y a 10 ans. On imagine que c’est un rôle qui t’a tenu à cœur ?
Être porte-drapeau à Vancouver a été un moment fort et très intense. Je m’étais préparé intellectuellement à vivre ce moment et la chance incroyable de représenter son équipe lors des Jeux Olympiques. Deux choses m’avaient notamment attiré quand on m’avait proposé le rôle. D’abord, le fait d’assumer le rôle de capitaine d’équipe, à la fois en amont et pendant les Jeux, pour être un point de repère pour les athlètes. Ensuite, le côté « message » qu’un porte-drapeau peut porter. Quand on est porte-drapeau, on a l’occasion de répondre à des questions un peu différentes. Généralement, on pose aux athlètes des questions sur la préparation, la compétition, les objectifs et la performance. Quand on est porte-drapeau, on est questionné sur d’autres sujets un peu plus profonds, notamment pourquoi les Jeux Olympiques et pourquoi une équipe s’engage dans les Jeux ? Cela m’intéressait beaucoup de pouvoir réfléchir et passer des messages. Je m’étais donc préparé intellectuellement sur ces deux aspects : aider l’équipe et passer des messages.
Peux-tu nous raconter comment tu as vécu ce moment spécial de l’intérieur ?
L’entrée dans le stade et la ferveur qui l’accompagnait ont été très forts. Mais ce qui m’a surpris, c’est un moment tout aussi beau qui s’est passé avant : c’est quand on m’a remis le drapeau en coulisses. On me l’a donné 10 minutes avant de défiler. La réaction de toute l’équipe derrière moi a été incroyable : elle a hurlé de joie et d’énergie quand le bénévole en charge m’a donné le drapeau. Cela m’a pris aux tripes de manière inattendue. Je m’étais préparé à entrer dans le stade, mais je ne m’étais pas préparé à recevoir concrètement le drapeau dans les coulisses et que l’équipe réagisse comme ça. Ça a été incroyablement fort ! Après, j’ai le souvenir d’avoir défilé, d’avoir agité le drapeau et d’être fier. On était tous super contents d’être là et on allait s’engager à fond dans ces Jeux.
Comment se passe le planning d’un porte-drapeau, mis à part le défilé en lui-même ?
Dans les jours qui précèdent la cérémonie, on a les conférences de presse. En tant que porte-drapeau, on est pas mal sollicité. Il faut gérer ça, car un porte-drapeau est aussi un athlète qui a des épreuves à assumer. Ça prend de l’énergie et j’ai été bien aidé pour cela.
La veille, on avait prévu avec le staff de l’équipe de France Olympique que j’envoie un SMS à tous les athlètes. J’avais préparé un petit texte pour dire à l’équipe à quel point j’étais content qu’on commence les Jeux et qui contenait quelques messages de boost et d’état d’esprit. Dans la matinée, j’ai eu mon entraînement de biathlon pour préparer mes courses et j’ai envoyé le SMS dans la foulée.
J’avais pour particularité d’être dans un sport qui commençait les épreuves assez tôt après la cérémonie : je courrais le surlendemain. Du coup, on avait préparé une organisation millimétrée pour que je puisse être exfiltré plus vite que les autres athlètes dès que la cérémonie se terminait. J’avais pris un car très rapidement afin de pouvoir rentrer le plus tôt possible au Village Olympique et dormir.
« La réaction de toute l’équipe derrière moi a été incroyable : elle a hurlé de joie et d’énergie quand le bénévole en charge m’a donné le drapeau »
Lors des Jeux Olympiques de Vancouver, tu n’as malheureusement pas remporté de médaille. Avec le recul, penses-tu que le fait d’avoir été porte-drapeau ait pu avoir un impact ?
Être porte-drapeau a un impact très fort sur la performance. Mais je ne pense pas que ce soit cela qui ait fait que je n’ai pas réussi mes Jeux en termes sportifs. J’ai dédié de l’énergie à ce rôle, cela a eu un impact, mais je ne le regrette pas du tout. Dans ma carrière, ma philosophie a toujours été de rechercher la performance du plus haut niveau, mais pas à tout prix : pas au prix de tricher et pas au prix de certains sacrifices, notamment vis-à-vis de ma famille pour laquelle j’ai toujours gardé de l’énergie. Et je n’étais notamment pas prêt à refuser ce rôle de porte-drapeau qu’on me proposait. A la fois parce que j’en avais envie : être porte-drapeau une fois dans ma vie était quelque chose qui m’intéressait. Et à la fois parce que je pensais qu’il fallait bien que quelqu’un assume ce rôle de porte-drapeau : si tous les athlètes à qui on le propose se défilent, il n’y en aura jamais. J’avais un planning qui me permettait de raisonnablement bien pouvoir préparer ma première course tout en assumant ce rôle et j’ai donc accepté ! Je m’étais dit que j’allais chercher une bonne performance aux Jeux de Vancouver tout en ayant ce rôle. Au final, cela a eu une incidence sur ma performance, mais je ne veux pas me cacher derrière ça. Ce n’est pas la première cause de ma contre-performance sportive. Je ne regrette pas du tout.
Quatre ans plus tôt, tu es devenu champion Olympique de la poursuite lors des Jeux Olympiques de Turin 2006. Au moment d’arriver aux JO de Turin, pensais-tu à la médaille d’or ou bien cela a été une surprise ?
Devenir champion Olympique était devenu un objectif depuis peu, environ un mois et demi avant les Jeux. Avec mon bon début de saison, je voyais que j’étais un des athlètes qui pouvait espérer gagner. Mais juste avant ça, mon plan était d’être médaillé et pas forcément champion Olympique. J’étais un peu entre ces deux objectifs. En fait, j’ai un peu grillé une étape dans mon plan stratégique de carrière, qui était d’être médaillé par équipe à Salt Lake City en 2002, médaillé en individuel à Turin en 2006 et champion Olympique en individuel à Vancouver en 2010.
Le scénario de cette poursuite a été très marquant pour le public, avec notamment le dernier tir où tu es arrivé en tête et où tu as fait deux erreurs. Peux-tu nous raconter comment tu as vécu ce dernier tir crucial de l’intérieur ?
Je l’ai vécu en trois temps. La première phase, c’est le tour qui précède et l’approche du pas de tir. J’étais en tête des Jeux Olympiques mais je me suis dit : « reviens sur ton schéma de course, fais ce que tu as préparé mentalement, c’est-à-dire de penser technique au lieu de penser enjeu ». Le challenge était vraiment de rester concentré malgré l’enjeu et le fait d’être en tête. A l’approche du pas de tir, je me rappelle avoir pensé à Florence Baverel, qui était une excellente tireuse et qui avait été championne Olympique quelques jours auparavant. Je m’étais dit : « fais comme Flo, car c’est un exemple au tir, gère comme elle le ferait, fais un beau tir, attaque ». J’ai donc fait le choix de faire un tir attaqué, de m’installer vite et de rapidement lâcher la première balle. La deuxième phase, c’est le tir. J’ai quand même fait deux erreurs : une erreur de nervosité sur la première balle et une erreur technique sur la dernière balle. La troisième phase, c’était d’aller vite tourner sur l’anneau de pénalité à cause de mes deux fautes. Je me suis dit : « cette fois, tu vas t’adapter aux circonstances de course et voir si tu restes en tête ». Faire les deux anneaux de pénalité a été très stressant. Il fallait vite que je me sorte de là et je pensais aussi à ce qui allait se passer sur le pas de tir.
Le deuxième moment fort de cette course est ce sprint remporté devant Bjoerndalen après avoir failli chuter au dernier virage. La préparation mentale t’a-t-elle permis de te remobiliser pour gagner face à cette légende du biathlon ?
Il y a eu de la préparation mentale et de la préparation technique. Je pense déjà que j’ai bien sprinté techniquement. Cela faisait plusieurs mois que je me préparais techniquement à un sprint sur cette ligne des Jeux en travaillant le haut du corps. J’ai fait un beau sprint : j’ai gardé de la force et j’ai « envoyé les bras », ce qui signifie aller vers l’avant et appuyer fort. Il y a aussi des choses qui ont compté et qui ont eu lieu bien en amont. A un moment de la préparation des Jeux, lors d’une séance d’entraînement, je me suis dit : « tu peux battre tout le monde, tu peux battre tout le monde, tu peux battre tout le monde ». C’était lors d’une séance de ski à roulettes, l’été à Bessans. Quelques mois plus tard, je pense que le fait de m’être dit fortement que je pouvais battre tout le monde a compté quand il s’agissait de battre Bjoerndalen. Un autre moment fort d’entraînement était quand on a fait un entraînement de poussée simultanée avec Christian Dumont (son entraîneur, ndlr). C’est quand on monte un col en ski à roulettes et qu’on ne se sert que des bras. C’est dur, il faut appuyer et on ne se sert pas des jambes. Pendant une demi-heure, je m’étais alors fait le petit jeu de me dire que pendant trois minutes, c’était pour aller chercher Sven Fischer, pendant trois minutes c’était pour Raphaël Poirée, pendant trois minutes c’était pour Maxim Tchoudov et pendant trois minutes c’était pour Bjoerndalen. Cela paraît anodin mais cela ne l’est vraiment pas. Cela aide de se dire pendant l’entraînement pourquoi on le fait et qui on veut battre. Pour le sprint d’arrivée, tout cela a compté. Et le fait de presque tomber a dû aussi me donner un coup de boost !
« Quelques mois plus tard, je pense que le fait de m’être dit fortement que je pouvais battre tout le monde a compté quand il s’agissait de battre Bjoerndalen »
Trois jours après ce titre de champion Olympique à Turin, tu as remporté la médaille de bronze en relais. Comment s’est passée la préparation de ce relais malgré l’excitation et les sollicitations médiatiques ?
Cela n’était pas simple parce que j’étais sur mon nuage de la victoire. Le soir même, il y a eu une petite tournée très sympa. J’ai fait le tour des médias et du Club France. Je suis allé aussi dans la Maison de la marque Rossignol, qui m’équipait à l’époque. Les gens faisaient la fête et j’étais félicité par tout le monde. A un moment, je me suis dit : « whouah, il y avait le relais qui arrive ! ». Les Jeux n’étaient pas fini, loin de là, et je me suis souvenu qu’un an auparavant, lors des pré-Olympiques, j’avais réalisé un mauvais relais. Me remémorer les souvenirs de cette mauvaise performance sur ce site m’a bien stressé. En une fraction de seconde, je me suis remis en mode compétition et je me suis dit qu’il y avait ce relais Olympique à préparer. Au final, je suis très content parce que j’ai fait un super relais. Il me semble que j’ai réalisé le troisième temps de tous les athlètes sur cette course. On a gagné la médaille de bronze à l’arrachée.
Tu as aussi remporté une médaille de bronze en relais aux Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002. Remporter une première médaille pour ta première participation a dû être un très bon souvenir ?
Oui, c’était très fort ! C’était loin d’être gagné. On était médaillables, mais il fallait qu’on fasse une bonne course par rapport à notre niveau de l’époque. Et on l’a fait ! Dans l’aire d’arrivée, je crois que j’ai été le premier de l’équipe à avoir eu les larmes aux yeux. Cela a fait venir les larmes à tout le monde : Raph, Julien et Gillou (ses équipiers du relais Raphaël Poirée, Julien Robert et Gilles Marguet, ndlr). C’était incroyable ! On s’entendait vraiment bien. On était vraiment une équipe de potes qui allait chercher des choses ensemble. Humainement, on était très liés !
Tu viens de lancer une marque de vêtements nommée « Ayaq ». Peux-tu nous expliquer ce projet ?
Il s’agit d’une marque de vêtements éco-responsables. C’est mon activité depuis un an. Les produits sortiront l’hiver prochain. L’idée est d’apporter des vêtements super techniques mais qui abîment le moins possible l’environnement. J’avais envie de proposer ça au monde du sport d’hiver et de la montagne en général. Je cherchais aussi le frisson de l’entreprenariat et je l’ai tous les jours puisque le covid-19 nous embête. C’est compliqué, mais c’est un beau challenge. J’ai une super équipe autour de moi qui m’accompagne. Je suis aidé par une belle fondation, la Fondation Inartis qui m’accueille en Suisse dans la région de Lausanne. C’est passionnant !
Depuis la fin de ta carrière en 2010, quelles ont été les autres grandes lignes de ta reconversion ?
Avant « Ayaq », j’ai eu trois grandes activités depuis 2010. Cela a commencé par des commentaires avec Eurosport puis la chaîne L’Equipe pour apporter ma vision et mon expérience d’ancien biathlète sur les grands événements de biathlon à la télé. J’aime bien cette activité, qui n’est pas très volumineuse mais est régulière depuis dix ans. A côté de cela, j’ai d’abord rejoint en 2010 le Comité International Olympique à Lausanne. J’y ai fait un an à temps plein au sein de trois départements : les Jeux Olympiques, les Sports et les Comités Nationaux Olympiques. Le CIO m’a beaucoup aidé dans mes premiers pas de reconversion. Puis j’ai eu une activité double pendant huit ans : j’ai travaillé pour le Comité International Olympique sur des programmes principalement liés aux Jeux de la Jeunesse, et j’ai été le Directeur de la Fondation Somfy. Pendant ma première année aux CIO, j’ai discuté avec l’entreprise Somfy, qui était mon partenaire depuis cinq ou six ans. Après avoir été athlète de haut niveau pendant pas mal d’années, ce qui était assez égocentrique, j’avais la motivation de faire des choses altruistes et tournées vers les autres. Somfy voulait se tourner vers les gens en difficulté de logement. Ils m’ont proposé de devenir Directeur de la fondation Somfy. Il s’agissait de la créer, de la lancer et de la développer. On a réalisé des programmes financier et humain pour soutenir des associations et aider les personnes mal logées, d’abord en France puis dans onze pays. Cela a été assez passionnant. De 2016 à 2019, j’ai continué à 100% sur la Fondation Somfy.
Je fais aussi partie depuis quelques temps d’une commission d’enquête sur des faits de corruption et de dopage au sein de l’Union Internationale de biathlon. Cela me prend un peu de temps mais c’est nécessaire car il faut combattre ces choses-là. J’ai aussi été chef de délégation pour les Jeux Olympiques de la Jeunesse de Lillehammer et c’était sympa !
Merci beaucoup Vincent pour ta gentillesse et ta disponibilité !
La carrière de Vincent Defrasne en quelques lignes :
Vincent Defrasne participe à ses premiers Championnats du monde en 1999. En 2001, il devient champion du monde du relais. Aux Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002, il remporte la médaille de bronze du relais et se classe notamment 18e de la poursuite. En 2004, il obtient le bronze avec le relais aux Championnats du monde.
En janvier 2006, il remporte sa première victoire en Coupe du monde, en sprint. Il atteint le sommet lors des Jeux Olympiques de Turin 2006, devenant champion Olympique de la poursuite. Lors de ces Jeux Olympiques, il obtient aussi le bronze en relais et termine 4e du sprint. En 2007, il remporte la médaille de bronze de la poursuite des Championnats du monde. Il gagne le globe de l’individuel en 2008. Il obtient aussi plusieurs médailles en relais mixte aux Championnats du monde (bronze en 2006, argent en 2007, or en 2009).
Il est désigné porte-drapeau de la délégation française pour les Jeux Olympiques de Vancouver 2010. Lors des épreuves, il ne connaît pas de réussite (6e du relais et 26e de l’individuel). Il met ensuite un terme à sa carrière. Aujourd’hui âgé de 43 ans, Vincent Defrasne lance une nouvelle marque de vêtements nommée « Ayaq ».
Participations aux Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002, Turin 2006 et Vancouver 2010
Médaillé d’or aux Jeux Olympiques de Turin 2006 (poursuite hommes)
Médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002 (relais hommes) et Turin 2006 (relais hommes)