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En cette période de fêtes de Noël, la tradition chrétienne célèbre la naissance de Jésus. Dans cette tradition, les Rois Mages furent guidés vers Jésus par une étoile, décrite par Matthieu dans son évangile. Une enquête entre astronomie, histoire et récits bibliques pour identifier cette étoile nous réserve des surprises. Examinons les éléments du puzzle.
Les Évangiles.
Marc écrit vers l’an 67, Matthieu et Luc autour de 80-90, et Jean peu avant l’an 100. À plusieurs décennies de distance des évènements relatés, il est normal qu’il y ait des variations. Matthieu et Luc sont les seuls qui mentionnent la jeunesse de Jésus.
Matthieu indique que Jésus est né au temps du roi Hérode, et que des mages, alertés par l’apparition d’une étoile, sont venus d’Orient pour voir « le roi des Juifs qui vient de naître » (je cite ici Matthieu). Hérode, renseigné par les grands prêtres et les scribes du lieu de la naissance, demande à ceux-ci de trouver l’enfant à Bethléem. Les mages se remettent en route, guidés par l’étoile, trouvent l’enfant, lui rendent hommage (or, encens et myrrhe), décident de ne pas retourner vers Hérode et de rentrer chez eux. Joseph, prévenu en rêve des desseins meurtriers d’Hérode, prend l’enfant et sa mère et fuit en Égypte. Hérode, comprenant que les mages l’ont trompé, décide de faire tuer tous les enfants de moins de deux ans.
Luc, pour sa part, indique que Joseph et sa fiancée Marie se rendent à Bethléem, la ville de David, pour se faire recenser. Le recensement est rendu obligatoire par un édit de César Auguste, empereur romain de 30 avant Jésus-Christ à 14 après Jésus-Christ, et eut lieu pendant qu’un certain Quirinius était gouverneur de la Syrie (de 7 av. J.-C. à 2 av. J.-C.). C’est là, selon Luc, que l’enfant naît, et que des bergers, gardant leurs troupeaux durant les veilles de nuit dans la région, sont avertis par un ange de la naissance et se rendent à Bethléem. Ce sont eux qui répandent la nouvelle. Notons que la date du recensement est encore controversée, d’autant que l’entreprise («l’inventaire du monde») prenait nécessairement plusieurs années pour être menée à terme, comme le montrent notamment les travaux de Béatrice Le Teuff.
Des indicateurs historiques
Selon l’historien Flavius Josèphe, dans « Guerre des Juifs », Hérode meurt peu après une éclipse de Lune visible depuis Jéricho, avant la Pâque juive qui a lieu en mars-avril. La seule date qui convienne est l’éclipse de Lune du 13 mars de l’an -4, qui précède d’un mois environ la Pâque du 10 avril de l’an 3757 du calendrier hébraïque. Si Hérode est mort en -4, Jésus n’a pas pu naître en l’an 0. L’ordre donné par Hérode de tuer tous les enfants de moins de deux ans indique, compte tenu d’une marge de sécurité, que la naissance de Jésus date d’environ -5 ou -6.
Dans quel calendrier compter ?
En 525, le pape Jean 1er chargea un moine scythe vivant à Rome, Denys le Petit, d’une réforme calendaire. L’église chrétienne commençait à dominer le monde occidental, et Denys devait déterminer un nouveau cycle des fêtes de Pâques – les plus importantes de l’année. Denys décida de baser le nouveau calendrier sur la date de naissance de Jésus. Pour effectuer ce changement de l’origine des temps, il lui fallut placer cette date dans la chronologie du calendrier romain. Il utilisa pour cela les meilleures données, à savoir la durée de règne des empereurs.
Mais il commit deux erreurs. D’une part, il oublia l’an zéro et passa directement de l’an -1 à l’an +1. D’autre part, il oublia quatre années pendant lesquelles César Auguste régna sous le nom d’Octave. Cela fait au total cinq ans de décalage par rapport à notre calendrier.
Ce n’est qu’en 1605 qu’un érudit polonais du nom de Laurent Suslyga signala l’erreur. S’il n’y a pas d’autres erreurs, Jésus est donc né en l’an 5… avant Jésus-Christ.
Jésus est-il né le 25 décembre ?
Jack Finegan, dans le Handbook of Bible Chronology, indique que la première mention du 25 décembre date de l’an 336. C’est la récupération de la fête, traditionnelle à l’époque, du Sol Invictus ou « Soleil invaincu », puisque le solstice d’hiver marque le début du rallongement de la durée du jour.
Un autre indice réside dans l’indication de Luc concernant les bergers. En décembre, les bergers ne surveillent pas les moutons pendant la nuit, car il fait trop froid à Bethléem qui est à 800 mètres d’altitude. Les bêtes sont remises à paître au printemps, et c’est aussi à cette époque de l’année, où naissent les agneaux, que la surveillance doit être continue. Jésus est donc probablement né en avril ou en mai.
Quelle étoile a alors guidé les rois mages ?
Voyons ce que l’art et l’astronomie nous apprennent.
Dans l’« Adoration des Mages » (1302-1304) qui se trouve dans la Chapelle Scrovegni à Padoue, Giotto a peint une comète. C’est probablement la comète de Halley, qui fut visible en 1301 – et c’est en hommage à cette observation de Giotto que la sonde envoyée par l’Agence Spatiale Européenne à la rencontre de la comète de Halley en 1986 fut nommée Giotto.
Mais cette comète n’est pas un bon candidat. En effet, la comète de Halley revient périodiquement, tous les 76 ans. Elle fut observée du 26 août au 20 octobre de l’an -12 par des astronomes chinois qui consignèrent l’observation. Cette date ne colle pas avec la date de naissance de Jésus.
David H. Clark et F. Richard Stephenson présentent dans leur ouvrage The Historical Supernovae le catalogue de toutes les novae et supernovae observées avant l’invention du télescope. La plupart de ces observations, qui s’étalent entre -532 et l’an 1604, sont dues aux astronomes chinois.
Les novae sont des étoiles dont la brillance augmente très rapidement pendant quelques jours avant de reprendre une valeur normale ; les supernovae sont des étoiles massives qui terminent leur vie en une explosion qui peut les rendre aussi brillantes qu’une galaxie pendant quelques semaines, et qui donnent naissance à une étoile à neutrons ou un trou noir. Parmi les 75 évènements répertoriés par Clark et Stephenson, 8 sont antérieurs à l’année 0 : printemps -532, août-septembre -204, juin-juillet -134, octobre-novembre -77, mai-juin -76, mai -48, juin-juillet -47, et enfin, en mars-avril de l’an -5 !
Cette dernière a été visible pendant plus de soixante-dix jours, et sans mouvement apparent dans le ciel. Le printemps, ça colle ! Voilà donc le bon candidat pour l’étoile de Bethléem : l’explosion d’une étoile massive en fin de vie ! S’il a existé, Jésus est donc né au printemps de l’an -5 avant… lui-même.
Mais ne nous précipitons pas trop vite pour conclure définitivement sur la nature de l’étoile. Les astrophysiciens ont identifié plusieurs mécanismes par lesquels une étoile peut exploser. Dans certains cas, l’explosion projette dans l’espace à très grande vitesse l’essentiel de la masse de l’étoile, qui émet du rayonnement électromagnétique observable longtemps après l’évènement. Ainsi, la célèbre nébuleuse du Crabe est le résidu de la supernova observée par les Chinois en 1054, et le résidu de la supernova de 1572, décrite par Tycho Brahé, est aussi identifié aujourd’hui. Mais, las ! on n’a pas observé à ce jour un résidu de cette nature pour l’évènement de l’an -5. Peut-être faut-il renoncer à l’image poétique d’une mort stellaire associée à une naissance ? Une modeste nova est peut-être une meilleure interprétation, comme l’ont suggéré F. Richard Stephenson et David H. Clark en 2005.
D’autres croisements entre évènements naturels et récits mythiques
Lorsque des textes religieux ou mythiques relatent des évènements naturels extraordinaires, on peut se demander si, au-delà du sens qui leur est donné dans le récit, ils ne font pas partie d’une mémoire collective ayant enregistré des phénomènes réels. Ce n’est certes pas toujours le cas : ainsi, lorsque le récit biblique nous apprend que Josué a commandé au soleil et à la lune d’arrêter leur course dans le ciel, le temps que son armée vainque ses ennemis à Gabaôn et dans la vallée d’Ayyalôn, il n’est pas nécessaire (aujourd’hui) de chercher une logique autre que littéraire à l’affirmation selon laquelle « le soleil se tint immobile au milieu du ciel et près d’un jour entier retarda son coucher » (Livre de Josué). Je précise « aujourd’hui », car l’argument fut utilisé par l’Église catholique au XVIe contre l’héliocentrisme de Copernic : si la Terre tournait autour d’un soleil fixe, la prière de Josué n’aurait pas de sens.
Mais prenons le cas du déluge. On retrouve un évènement dans la Bible, et aussi dans l’épopée d’Atrahasis (datant probablement du XVIIIe siècle av. J.-C.). Atrahasis est le héros sumérien équivalent de Noé. Dans la Bible, Yahvé se repend d’avoir créé une humanité dont il constate qu’elle est « méchante » et que son cœur « ne forme que de mauvais desseins à longueur de journée ». Dans l’épopée d’Atrahasis, les Anunnaku, dieux sumériens, trouvent que les hommes font trop de vacarme, et leur roi Enlil se plaint de ne pouvoir dormir tant ils sont bruyants. Les motivations pour se débarrasser de l’engeance humaine sont donc différentes dans les deux récits, mais les deux déluges sont très voisins – jusqu’au détail des oiseaux envoyés en reconnaissance quand les pluies s’arrêtent. Comment ne pas penser que cette montée des eaux emprunte à celle qui a suivi la fin de la dernière époque glaciaire, voici 20 000 ans ? Le niveau des mers est monté de 120 mètres en quelques milliers d’années, et des effets de seuil comme le déversement de la Méditerranée dans la mer Noire a dû laisser des traces dans les populations locales, jusqu’à ce que les grands auteurs de l’époque s’en emparent et y inscrivent leurs épopées !
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