lundi 23 août 2021

Témoignage

 Un autre témoignage, poignant :

"  Bonjour à tou.te.s,  
Je suis interne en réanimation au CHUG et urgentiste de formation, je connais très bien ces deux services du CHU et j’aimerais apporter mon témoignage sur ce qui se passe depuis 3 semaines.
Premièrement, pour ceux qui se demandent pourquoi les soignants, principaux concerné.e.s ne se manifestent pas autant sur les RS, la réponse est plurifactorielle :
- Nous n’avons pas le temps, pendant que certains consacrent leurs jours à commenter et opiner sur tout ce qui se passe sans en avoir la moindre assurance ni connaissance… nous sommes au front, à faire tout ce que l’on peut pour sauver le plus de vies et limiter les dégâts
- Après tout le temps passé au travail (80h/semaine pour ma part), je peux vous dire que la principale chose que l’on veut en rentrant à la maison c’est COUPER (et c’est quasi impossible). Ne plus entendre parler de ce virus, de tous les décès, d’à quel point on méprise notre expertise, nos connaissances en mettant au même niveau (ou au-dessus) que la notre, la parole de personnes qui n’ont rien à voir avec le domaine de la santé, qui ne sont ni à la 1ère, 2e, 3e, 4e ligne… et qui arrive à avoir un égo tel qu’ils pensent détenir la vérité et mettre en doute les récits de personnes qui s’acharnent au boulot quitte à mettre leur santé à bout. La charge mentale liée à tout ce que l’on fait aujourd’hui est sous-estimée totalement : on est présent, on vit jusqu’à plusieurs décès par jour, on pleure, on garde la face devant les familles, on se tue à la tâche dans des conditions déplorables, on enchaîne les heures, on ne compte pas, et comme si cela n’était pas assez, on se prend la foudre de pseudo-médecins du net (et de dehors) qui induisent en erreur la population en diffamant et spéculant sans jamais mettre un pied à l’hôpital (sauf pour distribuer des tracts plein de mensonges)
- Enfin, pour ce qui est des médecins, comme vous le savez, la majorité ne sont pas guadeloupéens. Au vu de la situation, prendre la parole quand c’est le cas, est se risquer à recevoir des commentaires affligeants. J’en ai moi-même fait les frais en apparaissant il y a qq semaines sur un reportage Gpe 1ère suivant lequel j’ai reçu des messages sur mes réseaux m’ordonnant de quitter la guadeloupe car j’étais « une médecin blanche voulant empoisonner la population avec ce vaccin». C’est une infime minorité, on le sait. Mais se prendre des dizaines de messages comme ceux-ci ne donne pas envie de montrer son visage en public. Loin de moi l’idée de prouver la quelconque existence de racisme « anti-blanc », je ne pense pas que cela existe même. Mais ces commentaires racialement haineux, quand bien même soient-ils fondés sur des injustices passées et présentes, sont difficiles à avaler quand on bosse pour une population qu’on chérie (pour ma part). 
Ces raisons, et plein d’autres, expliquent pourquoi la prise de parole est difficile. 
Cependant, maintenant que je l’ai prise, je vais vous raconter ce qu’il s’y passe en réanimation, aux urgences et dans tous les établissements de santé de l’île.
Visualisez une situation catastrophique, semblable à un contexte de guerre, … et vous y serez. 
Rien n’est mensonge, je dirais même qu’au vu du capital humain, les médias euphémisent. 
La raison de cette débacle n’est pas un manque de moyens (même s’il est présent), ni un manque de lit (la réanimation hors covid n’est pas sujette à saturation), … elle est due un flux de malades incontrôlable au vue de la transmission en ville. Bien que des lits soient ouverts constamment (en médecine, on est passé de 15 lits à plus de 100 en 3 semaines, en réanimation de 12 à 70 en 3 semaines aussi…), nous n’arrivons pas à contenir la vague. Le COVID nous a montré nos limites en tant que praticiens. Même avec toute la volonté et les nuits debout, les personnes qui arrivent graves, décèdent. Nous sommes fatigués, tant physiquement, que psychologiquement. Nous sommes habitués à côtoyer la mort, là n’est pas le problème. Cependant, nous n’avions pas l’habitude de devoir expliquer à des personnes que leur proche de 40 ans sans co-morbidités qui n’était pas si mal jusque-là, a dû être intubé, mis sur le ventre et a de grandes chances de décéder. Ni d’expliquer à des enfants, que leur père de 60 ans ne sera accepté en réanimation, non pas parcequ’il n’y a plus de places, mais parceque nous ne pouvons pas donner de place à des personnes, qui nous le savons, n’ont que 5% de chance de sortir de la réanimation vivantes. Nous leur donnions cette opportunité de gagner du temps et de laisser un miracle opéré jusque-là. Aujourd’hui, nous ne sommes plus en moyen de le faire. Cette fatigue psychologique est accompagnée de nos larmes, qu’on essaie de garder pour nous, de notre colère de ne pas pouvoir sauver des patients qu’on suit depuis 2 semaines, de ce désarroi d’avoir tiré la sonnette d’alarme sur ce qui allait arriver en demandant aux gens de se vacciner et de nous voir traiter de corrompus et de menteurs. La situation est grave, une majorité de familles en sortira endeuillées ou affaiblies, sachez-le. A ce stade, nous espérons juste en sauver au maximum, pour ne pas avoir ces morts sur la conscience. Nous payons un retard de vaccination, et il serait de mauvaise foi de ne pas l’admettre. Tout en comprenant les raisons qui ont causé cette méfiance, la situation est bien trop grave pour être politisée, aucun peuple ne pourra se battre pour sa liberté et sa justice s’il n’est pas vivant et en bonne santé.
Je vous en conjure, protégez-vous et vos anciens, rien n’est exagéré, rien n’est faux. Seul.e.s ceux qui ne veulent pas voir, ne voient pas à ce stade. La morgue est pleine, les places s’arrachent, des patients attendent > 24h aux urgences dans l’espoir de pouvoir acceder à une d’elles et décèdent entre temps, l’oxygène est précieux, des choix sont faits, … et des familles n’arrivent pas à comprendre la gravité de la situation pour autant ! Aidez-nous à vous sauver, en vous protégeant, en nous respectant. On sera là, toujours là, c’est notre travail et on ne vous décevra pas. Mais sans vous, nou péké fè ayen. 
Fos a tout moun, fos a gwadloup, force aux familles endeuillées et à celles en détresse.
Force à mes collègues, on en sortira plus fort.
A mamie C., hospitalisée gériatrie, dont je savais déjà le pronostic mais que je n’ai pas pu soulager sur ma garde de mardi soir et qui s’est éteinte devant moi. Ta souffrance me hantera encore quelques jours. Que Dieu t’ouvre les portes du paradis. 
IM  "

 

" Aidez-nous à vous sauver, en vous protégeant, en nous respectant. "



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